• Katherine Wolkoff - Deer beds (exposition à l'Atelier)
7 octobre 2016

Le huitième art attend son heure

En 1997, alors que les Rencontres photographiques d'Arles fêtent déjà leur 28ème année, un groupe de passionnés lance la première édition de la Quinzaine Photo Nantaise. 20 ans après, point d'étape sur le festival et le métier de photographe dans l'Ouest.

Le huitième art attend son heure

07 Oct 2016

En 1997, alors que les Rencontres photographiques d'Arles fêtent déjà leur 28ème année, un groupe de passionnés lance la première édition de la Quinzaine Photo Nantaise. 20 ans après, point d'étape sur le festival et le métier de photographe dans l'Ouest.

Le chaos l’an passé, le bonheur cette année. Pour ses 20 ans, la Quinzaine Photographique Nantaise (QPN) a choisi d’emprunter pour thème la maxime de Joachim du Bellay « Heureux qui ». Une alternative légère aux « sujets traités en photographie qui sont souvent durs, sérieux, posent problème », explique Hervé Marchand, directeur de la QPN. « Même avec le bonheur on aurait pu trouver beaucoup de photos du style de Martin Parr, qui dénoncent par exemple le monde du luxe avec cynisme. Mais nous avons plutôt choisi de montrer des petites illustrations du quotidien à la manière de Du Bellay : heureux qui partage un repas, est en vacances, se baigne, se balade en forêt… »

Sans révolutionner son modèle, le festival s’ouvre cette année à de nouvelles formes et lieux en investissant notamment l’Atelier Alain Lebras. L’Arlésienne Géraldine Lay, invitée cette année par l’association Espho y expose le résultat de sa résidence dans la région nantaise. L’association de passionnés de photographie contemporaine a pu financer cette carte blanche avec les moyens qu’elle utilisait jusqu’à présent pour organiser la Petite Biennale photographique de Blain. « Nous n’aurions pas pu le financer uniquement avec la QPN. Aujourd’hui, nous n’avons pas assez les moyens de soutenir les auteurs, déplore Hervé Marchand. Parfois on ne donne que 500 euros ou on participe à produire des photos, on prend en charge le transport des expos et leur hébergement. Et les photographes sont contents car dans bien des cas on leur demande de venir à leur frais, d’amener leur travail produit, d’accrocher les expos. Ce n’est pas avec ça qu’un photographe peut vivre mais ce sont les moyens de la photographie en général en France ». Un constat partagé par le photographe Jérôme Blin qui ajoute que « ce qui nous fait vivre est rarement la partie artistique de notre métier, c’est surtout la médiation ou les commandes (communication culturelle, architectes…), même si les prix ont tendance à descendre. Cela nous donne du travail pour quelques jours mais ensuite nous ne sommes pas sûrs que cela se renouvelle. Nous avons peu de visibilité dans le temps. Il faut être capable de vivre avec ça. »

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Louis Matton - Objets autonomes (exposition au Temple du goût)
Louis Matton - Objets autonomes (exposition au Temple du goût)

Louis Matton

Un travail solitaire à plusieurs

Cofondateur en 2008 du collectif bellavieza (avec Gaëtan Chevrier et Benoît Arridiaux, ensuite rejoints par Adeline Praud), Jérôme Blin conçoit sa photographie à travers ce collectif. « Beaucoup travaillent seuls (le plus connu à Nantes étant Franck Gérard, ndlr), le travail de photographe est à la base très solitaire. Bellavieza nous permet au contraire de questionner, de rechercher et d’avoir un autre regard sur nos projets, d’échanger nos réseaux. Et surtout ça nous permet de pouvoir monter des projets ensemble, de l’écriture, au financement jusqu’à sa finalité sous forme d’expositions, d’éditions… » Actuellement, les quatre membres de bellavieza sont en résidence dans la communauté de communes Erdre-et-Gesvres. « Lors de la restitution, l’idée est de montrer nos photographies ensemble, c’est à dire sous le nom du collectif. Chaque photographe s’efface un peu pour qu’une cinquième direction ressorte de ce travail à plusieurs. On se concerte régulièrement pour que chacun travaille dans l’idée du collectif, que notre travail soit cohérent jusqu’au bout. » Entre deux séances photos, les membres du collectif interviennent également dans deux classes de CM2 et de 6ème. « Nous effectuons de plus en plus de médiation. Cela nous semble important de faire passer des choses aux générations futures par exemple sur la lecture ou l’analyse de l’image. Et c’est aussi très souvent demandé par les institutions pour avoir les financements. »

Il y a 60 centres d'art en France, seulement six sont dédiés à la photo et un seul sur l'arc Atlantique Hervé Marchand, directeur de la QPN

Le collectif est très peu soutenu directement par les institutions, mais plutôt indirectement par des financements DRAC, Communauté de communes, Ville, Région… lors de ses résidences. Un soutien des institutions vital pour les associations, dont l’avenir dépend quasi essentiellement de ces financements. « En 2016, la QPN a été relativement épargnée, précise Hervé Marchand (seulement 500 euros de moins de la part de la Ville de Nantes) ». C’est notamment ce contexte tendu qui a mené il y a quelques années l’association L’EV (association pour l’éducation visuelle) à « faire le choix de réduire nos demandes de subventions pour ne pas fragiliser d’autres assos qui pouvaient par exemple avoir des salariés », raconte Mateusz Targowski, l’un des membres fondateurs. Avec des budgets réduits et moins de forces vives qu’à ses débuts en 2006, L’EV a réduit cette année son activité à l’organisation de son Marathon photo annuel et questionne même la pérennité de l’événement alors qu’elle propose en parallèle des ateliers photo de construction et de narration par l’image avec des groupes, scolaires, dans des centres d’animation, psychothérapiques…

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Géraldine Lay - Chroniques du dehors (exposition à l'Atelier Alain Lebras)
Géraldine Lay - Chroniques du dehors (exposition à l'Atelier Alain Lebras)

Géraldine Lay

Stereolux a remplacé l'Olympic qui est maintenant un lieu de répétition pour la danse. Nous on est juste derrière l'Olympic, mais dans un petit local humide Hervé Marchand, directeur de la QPN
Pour Hervé Marchand, « la photo existe depuis 1839 et n’est toujours pas soutenue comme elle devrait l’être. […] Il y a 60 centres d’art en France, seulement 6 sont dédiés à la photo et il y en a un seul sur l’arc Atlantique, à Niort. Si quelqu’un veut voir de la photo dans les Pays de la Loire, il n’a pas beaucoup le choix, d’autant que les photographes professionnels se concentrent principalement à Nantes. » Ce problème de reconnaissance de la photographie se traduit à la fois au niveau national et local. «  Sur le spectacle vivant, il y a eu d’énormes avancées à Nantes. Stereolux a remplacé l’Olympic qui est maintenant un lieu de répétition pour la danse. Nous on est juste derrière l’Olympic, mais dans un petit local humide. […] Avec 2x7m2, on y conserve notre collection photographique mais l’humidité est trop souvent élevée pour une bonne conservation des œuvres. »

Ouverture et fermetures

Depuis 1997 et la première édition de la QPN impulsée par le photo club nantais et notamment Hubert Van Genneken (créateur plus tard de la galerie Confluence avec Yolande Mary), les salles et associations photographiques se sont succédé et ont évolué. «  À l’époque, les galeries montraient essentiellement de la peinture ou de l’art contemporain, il n’y avait aucun lieu dédié à la photo ni même de petit festival » (à l’exception de quelques essais, comme une collaboration entre le Festival des 3 Continents et le photographe Claude Nori), annonce Hervé Marchand. Un constat partagé par Mateusz Targowski qui se rappelle qu’il avait chez ses parents « l’affiche de Remix, une exposition de photographie proposée par le Musée des Beaux-arts en 1998. Huit ans plus tard on créait l’EV et il n’y avait pas eu à ma connaissance de grande exposition photographique depuis. […] ». Entre 2006 et 2010 l’association a notamment créé la galerie Contraste (en même temps qu’ouvrait l’Atelier A, lui aussi fermé depuis) et organisé le « off » de la QPN pour « proposer des choses émergentes, plus de reportage, en marge de ce que proposait la QPN à ses débuts ».

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Katherine Wolkoff - Deer beds (exposition à l'Atelier)
Katherine Wolkoff - Deer beds (exposition à l'Atelier)

Katherine Wolkoff

Hervé Marchand rappelle qu’au départ « la Quinzaine est née de passionnés de photographie qui souhaitaient faire venir à Nantes les grands photographes que l’on pouvait voir, par exemple aux Rencontres d’Arles. […] Pour la première édition, la QPN a réuni environ 700 spectateurs (plus de 20 000 chaque année sur les dernières éditions, ndlr) avec notamment une exposition de John Batho qui est toujours en activité et très reconnu. Le festival a évolué, nous avons été dans de nombreux lieux de l’agglo », notamment à la Maison du Change (devenue en 2005 les bureaux de la Maison de la Poésie), au Grand T, au lieu unique où jusqu’à 6000 spectateurs ont été accueillis lors d’une édition. Aujourd’hui peu de lieux restent encore garantis pour les expositions de la QPN. En 2016, en plus des fidèles galeries Mélanie Rio, Rayon Vert, RDV, du Temple du goût et de l’Atelier, quelques nouveaux espaces s’ouvrent aux spectateurs. L’œuvre de Pierre Jamet s’installe ainsi dans la boutique Yellow Korner (et l’Atelier) pour présenter « la première rétrospective aussi exhaustive et qui couvre une longue période de l’œuvre de ce photographe ». La QPN retrouve également le Passage Sainte Croix et la galerie Confluence dans son nouveau local en face du château, non loin de l’atelier Alain Lebras.

Il y a eu une prise de conscience de la crédibilité de la photographie sur le terrain de l'art et de la culture Mateusz Targowski, association l'EV

En parallèle de cette précarité subie par de nombreux acteurs de la photographie, Mateusz Targowski, qui enseigne depuis huit ans la photographie à l’École de Design Nantes-Atlantique, précise qu’il y a eu « une prise de conscience de la crédibilité de la photographie sur le terrain de l’art et de la culture. […] Si la photographie à encore du mal à trouver sa place, c’est peut-être parce qu’il y a trop de façons différentes de faire les choses, qui donnent de la richesse mais qui affaiblissent peut-être le propos. […] Dans Un art moyen, Pierre Bourdieu analyse les raisons pour lesquelles les photographes professionnels ont tant de mal à se construire en tant que groupe et à faire valoir des droits. Il explique ça notamment par le fait que la photo est une pratique individuelle et qu’il y a beaucoup de façons de faire de la photo, d’exposer… »

Cet objectif d’unité et de projet commun devient donc un enjeu crucial pour les années à venir pour un art à la fois ultra-démocratique et instable professionnellement même si, comme l’explique Jérôme Blin : « aujourd’hui, je vois beaucoup de jeunes qui sont à fond, qui bossent, qui font des choses super en travaillant avec le support numérique » et qui parient encore sur l’avenir de la photo.

Ouvrir grand les portes

La folle rentrée 2016 : coups de cœur de la rédaction / Musique

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017