8 juillet 2016

Hellfest 2016 : douceurs obscures et accords ardents au royaume du metal

Le Hellfest 2016, c'était 180 000 personnes, 160 groupes, 3 500 bénévoles, 16 000 litres de vin, des litres et des litres de bière, et des torrents de riffs trois jours durant. Le festival a encore une fois déployé d’impressionnants moyens pour en mettre plein la vue aux différents publics venus célébrer les dieux du metal à Clisson.

Hellfest 2016 : douceurs obscures et accords ardents au royaume du metal

08 Juil 2016

Le Hellfest 2016, c'était 180 000 personnes, 160 groupes, 3 500 bénévoles, 16 000 litres de vin, des litres et des litres de bière, et des torrents de riffs trois jours durant. Le festival a encore une fois déployé d’impressionnants moyens pour en mettre plein la vue aux différents publics venus célébrer les dieux du metal à Clisson.

Le set le plus pyrotechnique : Rammstein (Main Stage 1)

Tête d’affiche du vendredi soir, les Berlinois ont livré un show certes carré et minuté, mais avec une scénographie impressionnante. La taille des spots à la limite de l’indécence et les flammes jaillissant de la scène réchauffent le public tassé jusqu’à 300 mètres de la scène. Difficile de se déplacer sur le site, les festivaliers ont pour la plupart assisté au show à travers les écrans géants. Les titres les plus anciens sont très attendus, et c’est d’ailleurs sur leur tout premier single Du riechst so gut (1995) que les Berlinois déploient tout leur budget talent pyrotechnique. En fin de concert, Richard Kruspe se transforme en ange noir cracheur de flammes sur Engel.

Le set le plus arachnéen : Skeletal Remains (Altar)

Voir un jeu si rapide et des doigts courir si vite sur les cordes de basse et de guitare a donné des complexes à l’adolescent que nous étions et qui, à 14 ans, tentait maladroitement de maîtriser le shred (jeu de guitare caractérisé par la virtuosité et la rapidité d’exécution. Cette technique se retrouve principalement dans le thrash metal, ndlr) sur son premier instrument. Du thrash metal technique et précis, qui nous renvoie tout droit dans les années 1980. La prestation des Californiens en ce début de festival chauffe le public et leurs cervicales pour les trois jours à venir à coups de drums mécaniques et riffs véhéments, ponctués de solos de guitare old school. Un bel hommage au thrash, qui annonce un terrible week-end aux enfers, et surtout le concert de Slayer, dimanche. Les chefs de file du genre y ont d’ailleurs à nouveau prouvé qu’ils étaient les patrons, rendant hommage à Jeff Hanneman, l’un des membres fondateurs du groupe décédé en 2013, en déployant un gigantesque visuel à son nom sur Angel of Death.

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Le signe des metalleux par excellence.
Le signe des métalleux par excellence.

Mathilde Colas

Le set qui prouve qu’il faut parfois savoir s’arrêter : Offspring (Main Stage 2)

Il est parfois difficile, une fois atteinte la cinquantaine, de garder le même esprit qu’à 20 ans. Certains gardent leur classe et leur énergie du début, et l’injectent dans une musique sans cesse renouvelée, en recherche perpétuelle. D’autres se contentent d’enchaîner leurs tubes année après année, sans aucune variation, car l’énergie ne semble plus y être. C’est l’impression qu’a renvoyé Offspring, deuxième tête d’affiche du vendredi soir. Aucun regard ni aucune communication entre les musiciens qui expédient une compilation des tubes de notre adolescence. Aucun sourire non plus : seul Dexter Holland, qui semble ne plus avoir grande envie d’être là, tente parfois d’interpeller le public, plutôt clairsemé par rapport au set de Rammstein qui vient de se terminer. Sur cette scène gigantesque, qui semble bien trop vaste pour eux, Offspring n’aura pas fait rêver. Dommage, on avait pourtant révisé nos paroles.

33 ans après leur formation, Melvins conserve son inventivité, sa complicité, et toute sa classe

Le set qui prouve qu’il ne faut parfois jamais s’arrêter : Melvins (Valley)

À travers les regards et le jeu des membres de Melvins se lit toute une histoire à laquelle le public rend hommage. Buzz Osborne, majestueux maître de cérémonie dans son costume évoquant un prêtre chamanique, entre en transe lors de ses solos frénétiques et saturés, tandis que Dale Crover semble avoir quatre mains à la batterie, montant parfois dessus tant il semble emporté par son propre rythme. Le ciel en explose, déclenchant un énorme déluge sous les sons incantatoires de la guitare, faisant du show une véritable Danse de la Pluie made in Hellfest. Devant Melvins, on a pris une leçon de musique en les voyant mêler tous les styles, du sludge au punk hardcore, en passant par le grunge et la noise, mais aussi un peu une leçon de vie, en constatant que 33 ans après leur formation, le groupe conserve son inventivité, sa complicité, et toute sa classe.

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Créé par l’artiste suédois Björn Tagemose, le projet Gutterdämmerung fait référence au nom du dernier des quatre actes du cycle de L’Anneau de Nibelung de Richard Wagner.
Créé par l’artiste suédois Björn Tagemose, le projet Gutterdämmerung fait référence au nom du dernier des quatre actes du cycle de L’Anneau de Nibelung de Richard Wagner.

Mathilde Colas

Le grand moment de cinéma : Gutterdämmerung (Warzone) 

Une séance de cinéma sur la Warzone un samedi soir, ça a quelque chose d’intrigant. Il fallait donc le voir pour y croire, et on ne l’a pas regretté ! Créé par l’artiste suédois Björn Tagemose, le projet est baptisé Gutterdämmerung et fait référence au nom du dernier des quatre actes du cycle de L’Anneau de Nibelung de Richard Wagner (Götterdämmung, Le Crépuscule des Dieux en français). On y croise Henry Rollins, chanteur de Black Flag, en prêtre fou, Iggy Pop en ange noir, Lemmy Killmeister en colonel peu enclin à la discussion, ou encore Josh Homme (Kyuss, Queens of the Stone Age) en homme de main assoiffé de sang semblant regretter la guerre du Vietnam. Les silhouettes gigantesques des musiciens apparaissent derrière l’écran pendant le film musical. L’un d’entre eux vient de temps à autre crever l’écran, projetant l’intrigue dans le réel. Le site réaménagé de la Warzone, plaçant la scène en contrebas, après des années de circulation en rangs serrés à travers un goulot étroit pour entrer sur cette zone dédiée au punk et au hardcore, se prête tout à fait à cette séance en plein air. Gutterdämmerung est le genre de projets qui fait du Hellfest un monde à part et qu’on espère revoir lan prochain.

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Puscifer est accompagné de quatre catcheurs qui livrent un show burlesque.
Puscifer est accompagné de quatre catcheurs qui livrent un show burlesque.

Mathilde Colas

Le set le plus cosmique : Puscifer (Valley) 

Qui dit Hellfest ne dit pas toujours guitares saturées et riffs lourds et gras, et la performance de Puscifer, fondé par Maynard James Keenan, leader de Tool, était là pour le rappeler dimanche soir. Black Sabbath faisant sa tournée d’adieu, avec un Ozzy Osbourne requinqué depuis sa prestation légèrement fatiguée en 2014, il était plus facile de se glisser au tout premier rang pour apprécier le concert. Aucun ampli n’est présent sur scène, un son subtil et planant se répand sur la Valley, enveloppant le public dans un monde à la fois doux, grâce à la voix reconnaissable entre mille de Maynard, et extravagant, de par les chorégraphies mécaniques des musiciens, accompagnés de quatre catcheurs, qui livrent un show burlesque pour accompagner le set. Les lumières bleutées tamisées nous projettent dans un rêve sombre et langoureux, où toute la place est donnée aux voix et aux effets électroniques. Le tout a sans doute fait de cet instant perdu dans les airs le moment le plus poétique de tout le festival.

Les lumières bleutées tamisées nous projettent dans un rêve sombre et langoureux et font de cet instant perdu dans les airs le moment le plus poétique de tout le festival

Le moment le plus Disneyland : The Descent (Main Stages)

Une grande roue avait déjà pris ses quartiers sur le site en 2014. C’est à présent une tyrolienne, baptisée « The Descent », qui s’est installée au dessus des Main Stages en 2016. Le tout donne un aspect de parc d’attraction au festival. Si l’attraction a fait grincer des dents quelques aficionados des premières éditions du Hellfest, à l’époque de l’entre-soi où seuls les connaisseurs venaient apprécier la programmation, voir les sosies de Deadpool et Spiderman filer dans les airs lors du concert de Slayer ne peut tout de même pas se voir ailleurs qu’à Clisson. Et en croisant des Teletubbies zombies ou un Lapin Crétin en pleine séance de headbanging, on se dit qu’au-delà de la musique, le festival est un rendez-vous pour les fans de metal, mais aussi pour tous les amateurs de musique, qui profitent ainsi de quelques jours de liberté absolue et sans jugement. Sans oublier que le Hellfest attire de plus en plus de personnes curieuses et souhaitant découvrir le metal, ce qui permet de faire connaître ce genre à un public plus large qui, sans le festival, aurait peut-être regardé le metal comme un phénomène extrême à part, sans s’intéresser à ses multiples branches.

Un rendez-vous pour les fans de metal et tous les amateurs de musique, qui profitent ainsi de quelques jours de liberté absolue et sans jugement

Le moment le plus champêtre : Walls of Jericho (Warzone) 

Quand on se promène en baissant les yeux après trois jours de festival, on s’aperçoit que le sol est devenu un lit moelleux pour certains, qui ont quitté un temps le monde des concerts pour rejoindre les bras de Morphée, leurs bras étreignant tendrement leur cher et tendre ou leur gobelet en plastique… On trouve tant d’amour sur la terre battue du Hellfest que les festivaliers ont tenu à s’en servir pour répandre leur bonne humeur lors d’une monumentale queue-leu-leu au milieu de la Warzone le dimanche soir, jetant en l’air les brins de paille répandus sur le sol lors du set de Walls of Jericho. Commençant timidement, le lancer de cotillons champêtres a ameuté une bonne partie de la foule à l’arrière du pit, entraînée par l’énergie de la leader du groupe Candace Kucsulain. De quoi réveiller les quelques endormis avant les derniers concerts.

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On trouve tant d’amour sur la terre battue du Hellfest que les festivaliers ont tenu à s’en servir pour répandre leur bonne humeur lors d’une monumentale queue-leu-leu au milieu de la Warzone le dimanche soir, jetant en l’air les brins de paille répandus sur le sol lors du set de Walls of Jericho.
On trouve tant d’amour sur la terre battue du Hellfest que les festivaliers ont tenu à s’en servir pour répandre leur bonne humeur lors d’une monumentale queue-leu-leu au milieu de la Warzone le dimanche soir, jetant en l’air les brins de paille répandus sur le sol lors du set de Walls of Jericho.

Mathilde Colas

Le moment le plus féministe : Refused (Warzone) 

On vous avait promis un set engagé avec Refused, ce fut chose faite : le discours final du leader Dennis Lyxzén a taclé la place encore trop étriquée des musiciennes parmi les groupes présents dans le metal. « Sur plus de 200 groupes présents ici, il y a seulement 5 femmes, et il est temps de se bouger pour changer ça ! » a enchaîné le leader, après avoir chaleureusement remercié le public d’être encore debout à 1h45 le dimanche soir. Bon, on a compté dans tous les groupes de la programmation, et 17 femmes sont en réalité présentes parmi les 159 groupes du line-up 2016 (voir en fin d’article, ndlr), ce qui reste tout de même bien peu… Le public se diversifie et se féminise pourtant depuis de nombreuses années, et au vu de sa réaction au discours du leader de Refused, il est plutôt enclin à promouvoir l’égalité des genres dans le milieu et mettre un frein aux clichés, tout comme plusieurs médias spécialisés ici ou .

Le public est plutôt enclin à promouvoir l’égalité des genres dans le milieu et mettre un frein aux clichés

À la sauce Refused, le discours était bien plus trempé, mais il a le mérite de pointer du doigt la difficulté pour les femmes d’être traitées légitimement, simplement en tant que musiciennes – puisqu’il y a des musiciennes depuis les débuts du metal – sans passer par la chronique mode des magazines féminins ou autres articles évoquant « les filles dans le metal » comme une seule et même entité sans style individuel. « So get your shit together ! » (faut-il vraiment le traduire ?) termine Dennis, avant d’entamer New Noise, l’un de leurs tubes les plus attendus, qui marque le clip de fin de cette 11e édition. Le public donne tout ce qu’il lui reste d’énergie, même les endormis se lèvent, pour saluer ce final à 100 à l’heure, qui nous ferait presque repartir directement pour 3 jours de festival…Presque, car on a quelques heures de sommeil à récupérer en attendant l’an prochain…


Ça tourne aussi à fond dans nos enceintes depuis le retour du Hellfest…

With the Dead

Un doom poétique joué par Mark Greening et Tim Bagshaw d’Electric Wizard, et porté par Lee Dorian (ancien membre de Napalm Death et de Cathedral, groupe phare du genre doom), excusez du peu !

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With the Dead  : un doom poétique.
With the Dead : un doom poétique.

Mathilde Colas

All Pigs Must Die

Du hardcore déstructuré prêt à nous rendre fou même après une séance intensive de yoga, avec notamment l’un des membres de Converge.

Earth

Une nappe planante et mélancolique s’est posée sur la Valley comme une petite plume le vendredi soir. Une promenade aérienne rythmée par le son lourd et lancinant des cordes de Dylan Carlson et la batterie claire et immuable d’Adrienne Davies.

Mantar 

Venu de Brême (Allemagne), Mantar a été l’une des bonnes surprises de cette édition. Entre noise et black metal, le tout avec une formation garage (un guitariste, un batteur… et cest tout !), les deux musiciens ont livré un impressionnant set sombre et enragé.

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Entre noise et black metal, le tout avec une formation garage, Mantar fut une bonne surprise du festival.
Entre noise et black metal, le tout avec une formation garage, Mantar fut une bonne surprise du festival.

Mathilde Colas



Pour information, voici la liste des 17 femmes faisant partie de la programmation du Hellfest, réparties entre 14 groupes sur les 160 qui composent le line-up 2016 (hors Metal Corner) :

Candace Kucsulain (Walls of Jericho), Carina Round et Mahsa Zargaran (Puscifer), Adrienne Davies (Earth), Tarja Turunen (Tarja), Stella Vander et Isabelle Feuillebois (Magma), Kim Bo-mi et Sim Eun-yong (Jambinai), Amalie Bruun (Myrkur), Sybille (Witches), Katherine Katz (Agoraphobic Noisebleed), Magali Luyten (Nightmare), Sharon den Adel (Within Temptation), Bonnie Buitrago (Nashville Pussy), Lzzy Hale (Halestrom) et Charlotte Wessel (Delain).

Voir également l’article d’annonce du Hellfest 2016.

Jade Puiroux et Vincent Lhoste

Le numérique, espoir pour les personnes handicapées

Les Maîtres chanteurs de Nuremberg

« Les maîtres chanteurs » à l’Opéra Bastille : « Comment donner une mesure à l’infini… »

Quand elle n’écrit pas, elle passe sa vie dans les concerts, du metal aux musiques électroniques, en passant par le blues et la musique classique. Traduire des atmosphères, des personnalités atypiques ou l’esprit d’un lieu, c’est ce que Mathilde recherche à travers l’écriture. Parmi ses grandes passions, on trouve aussi la photographie et un amour inconditionnel pour Berlin et sa folie créatrice.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017