8 septembre 2017

Froth, le shoegaze en héritage

Pour mieux comprendre pourquoi Froth, le groupe montant du shoegaze californien, considère son troisième et dernier album, "Outside (Briefly)", comme son premier, ce qu’ils pensent du renouveau du mouvement shoegaze, ou encore l’album honteux qu’ils préfèrent, Fragil a rencontré deux des fondateurs, Joo Joo Ashworth (chant et guitare) et Jeremy Katz (basse).

Froth, le shoegaze en héritage

08 Sep 2017

Pour mieux comprendre pourquoi Froth, le groupe montant du shoegaze californien, considère son troisième et dernier album, "Outside (Briefly)", comme son premier, ce qu’ils pensent du renouveau du mouvement shoegaze, ou encore l’album honteux qu’ils préfèrent, Fragil a rencontré deux des fondateurs, Joo Joo Ashworth (chant et guitare) et Jeremy Katz (basse).

Malheur à ceux qui auront tardé à prendre la route de Saint-Père, car c’est le groupe montant de shoegaze californien Froth qui ouvre les hostilités. Pour se rattraper de ne pouvoir commenter que les deux derniers morceaux (à notre grand regret), Fragil a rencontré la moitié du groupe backstage afin de mieux cerner cette formation née d’une blague potache il y a quatre ans : ne sachant jouer d’aucun instrument, les jeunes Froth enregistrent un album-concept fait de…silence ! Aujourd’hui, après deux disques placés sous le signe du rock garage et psyché, ils prennent un virage shoegaze sur leur plus récent album, Outside (Briefly).

Fragil : J’ai lu que vous avez passé beaucoup de temps en studio pour enregistrer votre troisième album (environ 40 sessions), ce qui apparaît quasiment comme un luxe de nos jours : qu’est-ce que cela vous a permis d’accomplir par rapport aux précédents albums ?

Joo Joo Ashworth : Il faut dire avant tout qu’il s’agit d’un studio DIY – ce sont nos deux amis qui l’ont construit – donc pas un studio tout confort. Mais nos amis ont vraiment fait du bon travail et nous ont fait un super prix. Mais c’était clairement un luxe énorme que d’avoir tout ce temps, beaucoup plus qu’un groupe de notre taille a d’habitude en studio. On avait des tonnes d’idées et comme le studio était juste à côté de chez nous, à chaque fois on se disait : “Et si on allait travailler deux heures en studio ?”

Fragil : La plupart des chansons étaient-elles écrites avant d’entrer en studio ?

Joo Joo Ashworth : Oui, mais les arrangements ne l’étaient pas. Comme c’est notre ami qui a enregistré l’album (Tomas Dolas, ndlr), l’ambiance était détendue. Et ça n’a pas été quarante jours complets de douze heures, sept jours sur sept!

Jeremy Katz : Parfois c’étaient des sessions de trois-quatre heures (rires).

On en avait marre de juste être un groupe à guitares noisy Froth

Fragil : Pour ce nouvel album, vous utilisez de manière plus systématique d’autres instruments que la guitare comme des synthés ou du violoncelle, quelle était l’idée derrière cela ? Comment rendez-vous cela en live ?

Joo Joo Ashworth : Certains sons de cordes ou de synthés peuvent être reproduits par les guitares et d’autres claviers. Beaucoup de ces arrangements se sont décidés sur le moment, genre : « Tiens il y a un violoncelle juste là, ça serait cool de l’utiliser ».

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Froth
Portrait de Froth avant leur entrée en scène à la Route du Rock 2017.

Gaëlle Evellin

Le virage du premier troisième album

Fragil : Ce n’était donc pas un choix conscient ?

Joo Joo Ashworth : Si ! Je pense qu’on en avait marre de juste être un groupe à guitares noisy. Perso, j’aime les belles chansons tristes et mélodiques, lentes, et je me suis dit : « Est-ce qu’on ne pourrait pas faire ça? ». Et quand on s’est retrouvés dans le studio, tout le monde était sur la même longue d’ondes.

Fragil : Est-ce pour cette raison que vous considérez votre dernier album comme votre premier?

Joo Joo Ashworth : Je crois que, pour le restant de nos jours, notre dernier album nous semblera toujours être le premier (ils éclatent de rire tous les deux). On a une capacité de concentration très limitée en ce qui concerne la musique (Jeremy acquiesce). On joue les morceaux tellement de fois sur scène…Prenons Contact, qu’on joue en répétitions et pour les balances, on a bien dû jouer ce morceau 300 fois cette année…probablement 500 fois en tout !

Jeremy Katz : Je pense que c’est sûrement le premier album pour lequel nous savions vraiment ce que nous faisions. Nous ne dépendions pas uniquement de la personne qui l’enregistre pour que les choses se produisent. Nous étions davantage préparés, plus informés, et avions appris plus de choses notamment en enregistrant à la maison.

Fragil : Chacun de vos albums a été publié sur un label différent (Lolipop, Burger et maintenant Wichita, le label de Ride). Qu’est-ce que cela fait d’être signés sur le même label que ce groupe emblématique du shoegaze, et de partir en tournée avec eux avec ? (Andy Bell, l’un des membres de Ride, a également remixé une des chansons de Froth, ndlr)

Jeremy Katz : Dingue, ça me paraît encore dingue (rires).

Joo Joo Ashworth : Ce qui est cool c’est que le jour où on a signé, on a livré l’album. On l’a écouté chez eux et toute la journée s’est déroulée comme dans un conte, exactement comme on imaginerait un petit groupe signant chez [Wichita] (Jeremy rigole). Il y avait du champagne, tout le monde était content, on avait cette magnifique chaîne hifi stéréo avec de très bonnes enceintes et de supers amplis…c’était génial !

Jeremy Katz : Trop cool !

Fragil : Comment cela s’est passé en fait ?

Jeremy Katz : C’est principalement notre manager qui s’est occupée de tout ça. Elle connaissait Mark du label et l’a fait venir à un concert. Il lui a fallu ensuite cinq ou six concerts avant qu’il ne montre de l’intérêt pour nous signer…et voilà !

Je pense que 90% des groupes que j’aime n’existeraient pas sans My Bloody Valentine Froth

ADN : My Bloody Valentine

Fragil : J’imagine que le mouvement shoegaze est une grande inspiration pour vous à l’écoute de votre dernier album. La Route du Rock a accueilli ces dernières années nombre de reformations de groupes emblématiques du mouvement comme Lush, My Bloody Valentine, Slowdive ou Ride. Lequel de ces groupes est pour vous le plus inspirant ?

Jeremy Katz : My Bloody Valentine ! Joo Joo les a vus, pas moi.

Joo Joo Ashworth : Je pense qu’ils ne font partie d’aucune scène. Ils sont complètement originaux et font leur propre truc. Je pense que la moitié des groupes que j’aime n’existerait pas sans eux. Je pense que 90% des groupes que j’aime n’existeraient pas sans eux (rires).


A lire également, la chronique du concert de Ride à la Route du Rock 2015.


Fragil : Tu penses à quels groupes ?

Joo Joo Ashworth : Des groupes comme… (Il hésite)…Merde, tu me prends de court ! Des groupes comme Air, comme Pavement leur doivent beaucoup…

Jeremy Katz : Slowdive aussi…

Joo Joo Ashworth : Oui, et Ride…On pourrait dire ça de beaucoup de groupes mais…

Jeremy Katz : C’était un groupe très important (rires).

Joo Joo Ashworth : Et ils sont tellement mystérieux, on peut lire tellement de trucs bizarres sur eux en ligne comme leur maison remplie de tatous parce qu’ils sont devenus fous (rires).

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Froth
Froth sur scène à la Route du Rock 2017.

Caroline Chaffiraud

Fragil : Que pensez-vous de ce revival shoegaze ?

En chœur : C’est génial, trop cool !

Joo Joo Ashworth : Il arrive pile au bon moment aussi. J’ai 22 ans et tous ces groupes se reforment alors que je peux enfin aller voir des concerts (beaucoup de concerts sont interdits aux mineurs de moins de 21 ans aux Etats-Unis, ndlr).

Jeremy Katz : Et ils sortent aussi tous de très bons disques, ce qui est vraiment génial. Ça n’est pas toujours le cas.

Joo Joo Ashworth : Certains groupes qu’on ne pensait jamais voir se reforment et ils sont encore bons. Ils ne sont pas trop vieux pour encore tenir leurs instruments et depuis le temps le matériel s’est beaucoup amélioré en plus.

Fragil : La pochette de votre dernier album est assez stricte, elle me fait penser au mouvement Bauhaus et tranche avec l’atmosphère vaporeuse des morceaux : est-ce voulu pour dérouter le public ?

Joo Joo Ashworth : C’est Jeff Fribourg (un des membres fondateurs du groupe, ndlr) qui conçoit nos pochettes depuis longtemps mais il n’est jamais à l’aise à se dire designer. Il essaie toujours de faire quelque chose de nouveau. Quand on pense à l’artwork, on ne pense pas au fait que ça va aller ou non avec notre musique, mais plutôt à créer une œuvre d’art cool à regarder et sur laquelle mettre notre nom. Je n’aime pas être trop exigeant en me disant : « Oh ça fait trop électronique ou techno ou rock ». Ça ne me dérange pas.

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pochette-Froth
La pochette de l'album "Outside (Briefly)"

Jeremy Katz : Jeff est en fait venu avec nous dans le studio et a créé le visuel pendant que nous enregistrions : je trouve ce visuel très cool et pense que ça le rend plutôt unique.

Fragil : Joo-Joo, tes lectures sont-elles toujours une source d’inspiration pour les paroles de tes chansons ? Certains morceaux du dernier album sont inspirées de Richard Brautigan et Haruki Murakami.

Joo Joo Ashworth : Pour ce qui est de ces deux auteurs, je me suis toujours senti proche de l’atmosphère belle et sombre qui se dégage clairement [de leurs écrits]. J’aimerais parfois être écrivain, d’une certaine manière, mais l’écriture de paroles n’étant pas un de mes points forts, c’est agréable de pouvoir tirer mon inspiration de ces auteurs plutôt que de ma propre vie. Les sujets qu’ils abordent sont bien plus intéressants que ce que je pourrais écrire sur ma vie, donc c’est bien de voir comment un livre a pu vraiment me toucher. Je pense que je suis plus souvent touché par un livre que par une expérience personnelle, et c’est principalement ce que j’ai voulu montrer.

Les sujets que Richard Brautigan ou Haruki Murakami abordent sont bien plus intéressants que ce que je pourrais écrire sur ma vie Joo-Joo Ashworth

Fragil : J’ai lu qu’une partie de l’album était inspirée par Elliott Smith et The Beatles : qu’est-ce qu’il en reste aujourd’hui sur le disque ?

Joo Joo Ashworth : L’une des choses que j’aime chez eux est le fait de pouvoir rendre quelques accords très émouvants, et c’est l’une des choses que je voudrais faire davantage. C’est peut-être le premier album sur lequel on ne veut pas être juste un groupe génial qui joue vite et fort.

Jeremy Katz : L’album blanc (des Beatles, ndlr) est aussi un album qu’on écoute à chaque tournée. On écoute la production technique qu’ils ont réussi à avoir avec un matériel limité, et on se dit : « Oh Mon Dieu, la batterie ! » et toutes ces petites choses qu’ils faisaient.

Joo Joo Ashworth : Le truc avec les Beatles c’est qu’ils ne se cantonnent pas du tout à un style. C’est l’un des groupes les plus référencés mais ils faisaient ce qu’ils voulaient et les satisfaisait sans se limiter à un style, j’aime cette approche-là.

Sur la route avec Froth

Fragil : Vous m’offrez la transition parfaite avec quelques questions sur le thème de la route, puisque vous jouez aujourd’hui à la Route du Rock (rires généraux). Je sais maintenant que vous écoutez les Beatles sur la route, mais encore… ?

Jeremy Katz : A chaque tournée on écoute l’album blanc mais ce qui est cool cette fois-ci c’est qu’on a un nouveau mec avec nous, notre ingénieur du son, et qu’à chaque fois qu’une nouvelle personne se rajoute, on découvre de le nouvelle musique, des choses qu’on n’avait jamais entendues auparavant…

Joo Joo Ashworth : Cette année je pense avoir surtout écouté Frankie Cosmos, Aphex Twin, Frankie Broyles du groupe d’Atlanta Omni – et Omni c’est très bien aussi (rires) –, Moaning

Jeremy Katz : …c’est un groupe de L.A. avec qui on a tourné.

Joo Joo Ashworth : (il continue la liste) …Aldous Harding, Marble Arch qui est un groupe français qu’on aime beaucoup…

Jeremy Katz : (rires) On est en tournée depuis tellement longtemps qu’on a écouté un tas de trucs. Il y a toujours du Sonic Youth quelque part.

Joo Joo Ashworth : …Kendrick Lamar, Vince Staples, Gesaffelstein…

Jeremy Katz : Notre batteur est fan de rap dont on en écoute beaucoup. On aime vraiment plein de styles différents en fait.

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Froth
Froth sur scène à la Route du Rock 2017.

Caroline Chaffiraud

Fragil : Quelle chose essentielle emportez-vous en tournée ?

Joo Joo Ashworth : De la lotion pour les mains…et du baume à lèvres !

Jeremy Katz : Moi je ne sais pas trop…De l’Ibuprofène pour mon mal de dos ! (rires)

Joo Joo Ashworth : (il s’exclame) Des cale-nuque ! Au début de l’année personne n’en avait dans le groupe, maintenant tout le monde a le sien ! (rires) Et des sandales !

Fragil : Qu’est-ce qui ne vous quitte jamais, même sur scène ?

Jeremy Katz : (après un silence) Mes cigarettes j’imagine…Ma chemise…? Mon pantalon…?! (rires)

Joo Joo Ashworth : J’aime avoir le strict minimum sur scène. Mais j’ai toujours des médiators de rechange dans ma poche, je me suis rendu compte que ça pouvait servir.

Jeremy Katz : On avait aussi une balle rebondissante qu’on faisait rebondir à chaque fois que l’on rentrait sur scène mais on l’a perdue. On a dû la chercher pendant 2 heures à 2 heures du mat’ sans jamais la retrouver (rires).

Fragil : Quelle nourriture vous manque le plus en tournée ?

En chœur : La nourriture mexicaine ! C’est facile ! (rires)

Fragil : Quel est le meilleur concert que vous ayez vu en festival jusqu’à présent ?

Joo Joo Ashworth : (très vite) Thurston Moore, Aphex Twin, Aldous Harding.

Jeremy Katz : Je n’ai quasiment vu aucun concert cet été. On a fait quels festivals déjà ?

Joo Joo Ashworth : Great Escape, Route du Rock et Best Kept Secret. Tu n’as pas vu Thurston Moore ? Oh non !

Jeremy Katz : Ah si j’ai vu Slowdive à Field Day c’était le meilleur concert que j’aie vu !

Fragil : Avez-vous lu Sur la Route de Jack Kerouac, et qu’en avez-vous pensé ?

Joo Joo Ashworth : Oui ! Je l’ai lu pendant ma toute première tournée. D’ailleurs c’était dingue car j’avais 16-17 ans, on traversait le pays, et les lieux qu’on visitait correspondaient à ceux du livre pour au moins 20% d’entre eux : c’était trop cool !

Jeremy Katz : Moi je ne lis pas (rires).

Fragil : Il y a cette expression en anglais « middle-of-the-road » (ndlr : qui signifie « passe-partout » ou « mainstream ») : y a-t-il un film ou un artiste mainstream que vous aimez secrètement ?

Joo Joo Ashworth : (il réfléchit) Mainstream…Film ou album ? Le Cinquième Élément.

Jeremy Katz : C’est un bon exemple, un vieux film.

Joo Joo Ashworth : Et un album, je sais que je peux en trouver un…Purpose de Justin Bieber ! (rires généraux) La production est très cool. On y trouve bien plus de choses que ce qu’on pourrait imaginer. D’une certaine manière je le déteste, mais il collabore avec beaucoup de personnes talentueuses.


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Sans la musique (et l'art), la vie serait une erreur. Passionnée par le rock indé, les arts visuels et les mutations urbaines, Sandrine tente de retrouver l'émotion des concerts, de restituer l'univers des artistes et s’interroge sur la société en mutation.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017