27 octobre 2017

Depardon fait salle comble avec 12 jours

La séance affiche complet depuis la veille. Le photographe et réalisateur Raymond Depardon est au Katorza ce mardi soir pour présenter son dernier film en avant-première. Après San Clemente et Urgences, il replonge dans l’institution hospitalière avec 12 jours. L’occasion pour lui de réunir ses deux sujets de prédilection : la psychiatrie et l’appareil judiciaire.

Depardon fait salle comble avec 12 jours

27 Oct 2017

La séance affiche complet depuis la veille. Le photographe et réalisateur Raymond Depardon est au Katorza ce mardi soir pour présenter son dernier film en avant-première. Après San Clemente et Urgences, il replonge dans l’institution hospitalière avec 12 jours. L’occasion pour lui de réunir ses deux sujets de prédilection : la psychiatrie et l’appareil judiciaire.

Le premier plan est saisissant : on entre au ralenti, par un long traveling avant, dans l’enceinte de l’hôpital. Les couloirs sont vides. Les portes sont closes. L’effet est immédiat : comme le patient, on sent le poids de l’enfermement, l’errance et la solitude en moins de deux minutes. Raymond Depardon a ce don de restituer la réalité d’une manière sobre et élégante : on entrevoit subrepticement un lit avec des liens à travers l’entrebâillement d’une porte, on entend des cris mais on ne voit rien. Depardon ne théâtralise pas l’institution psychiatrique. Il fait le choix de s’arrêter devant certaines portes et d’en pousser d’autres comme celle de la « salle d’audience ». Une première en France.

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Image tirée du film "12 jours"

Raymond Depardon

Une procédure récente et jamais filmée jusque-là

Dans 12 jours, Depardon s’attache aux patients qui ont été hospitalisés sans leur consentement, à la demande de leurs proches, pour éviter toute mise en danger d’autrui et, souvent, d’eux-mêmes. Le titre fait référence à une loi de 2013 qui oblige les psychiatres à soumettre au juge des libertés, dans un délai de douze jours, le dossier contenant l’ensemble du programme de soins. « On sent parfois les avocats et les juges désarçonnés. On en est encore aux prémices de cette procédure. Les magistrats ont du se former rapidement ce qui les rend parfois maladroits ou paternalistes face aux patients. »
Le film en devient un outil pédagogique qui sera prochainement diffusé au Sénat, à l’Assemblée Nationale ainsi que dans diverses écoles de droit et barreaux de France. Il sera également projeté dans des instituts psychiatriques ainsi qu’aux patients filmés dès la semaine prochaine.

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Image tirée du film "12 jours"

Raymond Depardon

« Je me suis efforcé de bien filmer les oubliés »

Dans la salle d’audience, qui n’est en fait qu’un simple bureau, trois caméras : une qui filme le patient, l’autre le magistrat et une troisième pour un plan général. Cette réalisation sobre et objective se veut au plus proche de la réalité et montre, sans aucun parti pris, la souffrance des patients. « Je ne suis pas là pour juger ou prendre parti. Le cinéma pour moi doit réveiller, interroger. Ça ne veut pas dire que je ne suis pas engagé ! » Sur 72 patients qui se sont laissés filmer, Raymond Depardon en a choisi 10 qui, selon lui, représentent une certaine vérité. 
Dans ces face-à-face, il ne s’agit surtout pas de les ridiculiser, ou d’être complaisant. « Les patients sont dignes, on ne les ramène pas devant le juge dans leur pyjama. Ils ont pu s’entretenir avec leur avocat avant l’audience et sont conscients de leur sort. » On peut difficilement rester indifférents à ces femmes et hommes qui aimeraient « juste » sortir, travailler, retrouver leur enfant ou leur maman. La sincérité de leur parole nous touche et certains témoignages nous font même sourire ! Des moments plus légers qui nous permettent de digérer certains propos. Comme ces instants de calme que nous offre Depardon entre deux audiences, quand il pose sa caméra dans la cour de l’hôpital, dans le parc ou dans le brouillard : des plans fixes et poétiques qui sont autant de temps suspendus sublimés par la musique originale d’Alexandre Desplat.

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Affiche-12jours

Claudine Nougaret

12 jours, documentaire de Raymond Depardon (France, 1h27), présenté en sélection officielle, hors compétition. 
Sortie en salles le 29 novembre 2017.

(Photo de Raymond Depardon ©Jean-Gabriel Aubert)

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L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017