24 février 2017

Delphine Vaute, l’illustration pas très sage

À défaut de pouvoir entrer dans la tête de Delphine Vaute, illustratrice nantaise, et comprendre comment elle y invente de tels tableaux, Fragil a eu la chance d’être invité dans son atelier. Rencontre.

Delphine Vaute, l’illustration pas très sage

24 Fév 2017

À défaut de pouvoir entrer dans la tête de Delphine Vaute, illustratrice nantaise, et comprendre comment elle y invente de tels tableaux, Fragil a eu la chance d’être invité dans son atelier. Rencontre.

Il était une fois un dessin, les couleurs sont douces et le trait délicat, apparaît une jolie petite fille. Son visage est pâle, son œil est traversé par une branche en fleurs, une de ses phalanges est amputée, ses cheveux se confondent avec des feuilles rongées par d’étranges insectes, et des cornes semblent pousser dans son dos… Tout le travail de Delphine Vaute est comme ça : beau, cruel, dérangeant, et étrangement doux.

« Je travaille chez moi,  j’ai besoin d’un lieu intime pour travailler »

Un escalier étroit et nous voici à la porte de son atelier, orienté Nord, parce qu’« il y a toujours une belle lumière, un peu constante et naturelle, j’aime bien ça et puis c’est important, surtout pour les couleurs ». Petit et dense, l’impression qu’il y a de tout partout : des livres, de botanique bien sûr, « des plantes aussi forcément », un poussin empaillé ; au mur juste en face de sa table, des papiers, une photo de Joël Peter Witkin, des croquis inachevés, un masque, un vieux Polaroid, une carte du spectacle Bestias, une autre de Georges de La Tour, des gommes, des cadres, des fleurs séchées, un ordinateur, et sur la table le cahier de croquis.
L’atelier dit forcément de l’artiste : chez Delphine Vaute, c’est une immersion dans l’un de ses dessins.

Delphine Vaute
Delphine Vaute dans son atelier

Bénédicte Cartron

« Je fais très peu de fonds et je me concentre uniquement sur le motif, qu’il soit très précis, que ça ne déborde pas »

Si l’atelier se perd dans une sorte de désordre, d’accumulation, le cahier de croquis d’un blanc immaculé est posé délicatement là, bien à plat sur la table, pas une page écornée ni de pelures de gomme.

J’aime quand le trait est propre

Delphine Vaute parle de son travail comme on décrit un métier empreint de gestes répétés, presque ritualisés : « toujours le matin, parfois je prends ce que j’ai commencé la veille, ou alors je regarde ma documentation, mes croquis, mes notes (…) je m’inspire de ce que j’ai pu lire, une rencontre, une image ». Dans l’ordre, « c’est d’abord l’enfant, je sais où je veux aller, je construis petit à petit avec la plante qui vient, et le motif perturbateur rehaussera l’illustration ». Ensuite, « je fais des croquis séparés, par exemple celui du visage, du végétal, après je les assemble et je retrace à la table lumineuse le dessin dans son entier, j’aime quand le trait est propre ; et puis viendra la colorisation ».
Voilà pour la méthode, presque simple, mais Delphine Vaute prend le contre-pied de cette image qui s’annonce si douce en lui tordant le cou.

cahier croquis delphine vaute
Delphine Vaute, croquis

Bénédicte Cartron

« La question, c’est toujours : qu’est ce qui va perturber l’image ? »

Perturber, déranger, venir heurter ce qui se veut, semble lisse. Delphine Vaute dit aimer travailler sur ce thème de « la cruauté qui va à l’encontre de cette société qui voudrait donner une image parfaite de l’enfant et crée toute une industrie autour de ça ».

Comme dans Alice

Dans beaucoup de ses illustrations il y a donc cette figure mi-enfant mi-adolescent, et souvent des petites filles, « peut-être parce que je suis une fille et qu’il doit y avoir une part de moi dans chaque personnage, ou bien ça me parle plus inconsciemment ». Puis, tapis dans un coin, l’étrange, le laid, le douloureux s’avancent doucement « comme dans Alice ». Delphine nous fait alors « tomber dans un monde fantastique, inquiétant, avec un mélange d’animaux anthropomorphisés, de végétal aussi très présent, et de dimensions qui changent… ».

Kate D.Vaute
Kate D. Vaute, crayon sur papier, 40x30cm, 2016

Delphine Vaute

« La double lecture, elle est partout »

Chez Delphine Vaute les visages sont doux et abîmés, la douleur visible et silencieuse et les couleurs sont ambiguës. Elle donne un exemple : « Pour certaines personnes, la couleur rose fait bonbon ou enfant, mais dans mes illustrations elles y voient tout de suite du sang  (…) ;  et pour moi, utiliser des couleurs plutôt flashy du domaine de l’innocence plutôt que des couleurs inquiétantes » dit autre chose à celui qui regarde.
Enfin si on parle technique, Delphine Vaute répond en douceur et en souriant : « Des crayons de couleur, et du crayon papier, juste ça ». Puis, juste après, comme un couperet : « Et le fluo, le feutre ou l’acrylique, tout ce qui me permet d’avoir des taches et des coulures ».  Histoire d’appuyer, un peu, là où ça fait mal ?

Inutile de chercher du côté de l’analyse quand on évoque les interprétations possibles de ses œuvres, pas le genre. Delphine Vaute admet volontiers « qu’il y a sans doute une part d’elle dans chacun de ses personnages » et on n’est pas loin de penser que devenue adulte, elle dessine aujourd’hui des enfants qui ont bien compris que le Pays des Merveilles n’en n’avait que le nom.


Les œuvres de Delphine Vaute sont notamment à retrouver lors d’une exposition personnelle à la Médiathèque de Pont Saint Martin du 3 au 28 mars.

Affiche chronographe

Le Chronographe : la machine à rattraper le temps

Pumpkin et Vin’S da Cuero prennent de la hauteur

« Personne ne sait ce qui se passe aujourd’hui, parce que personne ne veut qu’il se passe quelque chose. En réalité, on ne sait jamais ce qui se passe, on sait simplement ce qu’on veut qui se passe et c’est comme ça que les choses arrivent. » - Extrait : La Naissance de l'amour

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017