7 avril 2017

De ma fenêtre, je vois…

De ma fenêtre, je vois…

07 Avr 2017

Ça fait longtemps que j’habite le même quartier. Plus ou moins au même endroit, et plus ou moins en pointillés, mais c’est « mon » quartier. On le dit chic, on le dit cher, on le dit bien-pensant et cul-béni. J’y vois les agents immobiliers rôder comme des loups en quête de chair fraîche dès que l’un d’eux entrevoit mère-grand quitter sa petite demeure sans espoir d’y revenir.

J’y vois des immeubles aux prestations de « luxe », clapiers pour Parisiens crédules et désespérés de la pâquerette, y pousser comme autant d’amanites phalloïdes, ces champignons si sympathiques en apparence et bien empoisonnés à l’intérieur. Je vois des portefeuilles y investir, se frottant les mains de la défiscalisation à venir, des 4×4 surdimensionnés se mouvoir avec peine dans les rues tortueuses. J’y vois des banderoles à bas prix vanter des pseudo-aménagements hauts de gamme. Roulement de tambour mesdames et messieurs ! Par ici les acrobates de balcon d’1 m2 sur rue, les magiciens-jardiniers de béton, les otaries en nœud papillon glissant sur les sols en faux marbre des halls d’entrée. En quelques années, suivant la tendance, des centaines de bobos bien pensants se sont agglutinés dans ces appartements aux adjectifs ronflants. « Exclusif », « prestigieux », « de haut standing« , « exceptionnel »… mon dictionnaire des synonymes en est vert de jalousie.

Mais au bout de ma rue, une incongrue : lorsqu’une vieille propriété a été remplacée par un de ces rêves de promoteur banal et atone, la maison mitoyenne a survécu. Encaissée, en retrait de la rue et légèrement en hauteur, celle-ci ne fut plus jamais baignée de lumière, coincée entre deux sumos de parpaing creux. L’inhabitable verrue est pourtant restée. Longtemps fermée, puis un jour occupée. Regardant de loin, je me disais naïvement qu’il devait s’agir non pas d’un lieu d’habitation (non, cela me semblait impensable !) mais probablement du siège d’une association, certainement utilisée ponctuellement. C’est dire si ce lieu ne faisait pas de bruit.

Ce jeudi matin, 6 avril 2017, c’est également sans bruit que les forces de l’ordre sont intervenues. Bouclage serré, rue barrée. En toute discrétion, plusieurs fourgons de police accompagnaient quelques messieurs sérieux en pardessus, cartables à la main. Soudain, le film s’est déroulé dans ma tête ; d’un coup, tout s’est éclairci. Assombri, plutôt. J’étais le témoin forcé d’une situation de violence ordinaire. Pire, je réalisais que j’étais riveraine de jeunes qui avaient certainement connu la guerre, la faim et des violences intolérables. J’assistais à l’expulsion d’un squat de mineurs isolés étrangers, dont j’ai appris dans la matinée par la presse qu’il était installé là depuis deux ans. De mon balcon des beaux quartiers, deux ans que je me réjouissais que cette maison ne soit finalement pas tombée, car voir le grand arbre du jardin depuis mon petit chez-moi, c’est quand même pas mal quand je bois mon café dehors !

Alors après ? Se révolter ? Manifester ? S’engager ? Au moins, j’en aurai parlé. Car à défaut d’avoir en soi les ressources pour s’engager dans une association d’entraide, il est de notre devoir de citoyen de ne pas faire comme si les personnes qui vivent à côté de nous n’existaient pas. En cette période électorale qui donne plus de crédit à l’individualisme qu’à la solidarité, un seul mot d’ordre : l’ouverture d’esprit. Celle qui nous fait prendre conscience que nous-sommes-société.


Séverine Dubertrand – avril 2017

Maxi Obexer

Briser les frontières

Les Damnés à la Comédie Française : Dans les coulisses d’un inquiétant théâtre…

Aime les belles lettres et les beaux mouvements, se meut et s'émeut parfois passionnément. Par-dessus tout, regarde le monde avec ses propres yeux et parie sur les esprits éclairés pour faire bouger les lignes. Sage bohémienne, elle aime l'ordre autant que le bordel, surtout quand il est créatif.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017