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21 octobre 2016

Climate Chance : l’allégorie de La Poule aux oeufs d’or

Le sommet mondial des acteurs non-étatiques engagés dans la lutte contre le dérèglement climatique, appelé plus communément « Climate Chance », a eu lieu dans la métropole nantaise du lundi 26 au mercredi 28 septembre. Lancé lors de la COP21, Climate Chance a pour but d'être le point de jonction entre l'Accord de Paris et la COP22 qui aura lieu à Marrakech du 7 au 18 novembre prochain. Fragil revient sur un sommet contesté malgré des initiatives locales porteuses d'espoir.

Climate Chance : l’allégorie de La Poule aux oeufs d’or

21 Oct 2016

Le sommet mondial des acteurs non-étatiques engagés dans la lutte contre le dérèglement climatique, appelé plus communément « Climate Chance », a eu lieu dans la métropole nantaise du lundi 26 au mercredi 28 septembre. Lancé lors de la COP21, Climate Chance a pour but d'être le point de jonction entre l'Accord de Paris et la COP22 qui aura lieu à Marrakech du 7 au 18 novembre prochain. Fragil revient sur un sommet contesté malgré des initiatives locales porteuses d'espoir.

Connaissez-vous l’expression « tuer la poule aux oeufs d’or » ? Selon la définition trouvée dans le dictionnaire il s’agit de « détruire une source durable de revenus en cédant à l’appât du gain immédiat ». C’est ce qu’évoque la fameuse fable de La Fontaine, La Poule aux œufs d’or dans laquelle une poule qui pond des œufs d’or est tuée par son propriétaire dans l’espoir déçu d’y trouver un trésor. Ce qui en suit pourrait en être la version moderne…

Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus, Qui du soir au matin sont pauvres devenus, Pour vouloir trop tôt être riches ? La Fontaine

Rue Valmy, Nantes, le lundi 26 septembre 2016 : passage des quelques contrôles de routine à l’entrée du bâtiment pour montrer patte blanche. Je dois avouer que j’étais plutôt emballée par l’idée qu’un événement de la sorte soit organisé dans « ma » ville, me sentant particulièrement concernée par ces questions. Climate Chance… laisser une chance au climat, ça sonne plutôt bien !  « Enfin il y a du mouvement » : on cherche à bouger les choses, à créer le débat, à poser les faits sur la table pour pouvoir rebondir, agir, concrètement. Et puis en s’y penchant d’un peu plus près…la désillusion a rapidement fait surface, aussi vite que l’enthousiasme était apparu.

La politique de l’autruche

Commençons par la liste des partenaires financiers, affichés fièrement sur la page d’accueil du site web : Bouygues, Engie, Suez, GRDF et Veolia entre autres. Pas folichon tout ça, je ne vous fais pas un dessin : des multinationales qui s’investissent (et investissent) dans la lutte contre le dérèglement climatique… permettez-moi de me racler la gorge et d’avoir un doute sur la sincérité de ce mariage un point paradoxal. Était notamment présent Julien Colas, responsable du Pôle Energie-Climat des EPE « Entreprises Pour l’Environnement » dont fait partie… Vinci. Certains dénonceront alors le phénomène de greenwashing qui consiste à « se reverdir la façade » lorsque Manuel Valls parle en parallèle de débuter les travaux sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes à l’automne, et donc de détruire des hectares de zones humides ce qui inclut la biodiversité de ce paysage de bocage.
Commençons par le commencement, un programme de 80 pages couleur nous est donné à notre arrivée, programme conçu je cite « en accord avec nos principes d’éco-responsabilité » et des « encres végétales ». Dans le hall principal, des structures en bois font office de stands, hommes et femmes déambulent dans les allées en costume trois-pièces ou tailleur cintré assortis à leurs chaussures vernies. Au programme de ces trois jours : six plénières, seize forums, dix focus, soixante-quinze ateliers…

Ouroboros ou le principe du serpent qui se mort la queue

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Climate Chance : plénière d'ouverture le lundi 26 septembre à la Cité des Congrès de Nantes
Climate Chance : plénière d'ouverture le lundi 26 septembre à la Cité des Congrès de Nantes

Franck Tomps

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Climate chance
De nombreux intervenants et responsables politiques étaient présents pour l'occasion

Franck Tomps

La plénière d’ouverture a déjà débuté depuis plus d’une heure lorsque j’arrive mais j’ai malgré tout la chance de pouvoir écouter les propos de Dominique Deniaud et Jean Jouzel entre autres intervenants. Dominique Deniaud, président de la Confédération Paysanne 44, introduit son propos en insistant sur le fait que les conséquences de ces dérèglements ont déjà un fort impact dans le domaine agricole. Plusieurs impératifs selon lui : remettre l’agriculture en lien avec le besoin alimentaire, rétablir les échanges entre ruraux et citadins, faire des préoccupations climatiques un gisement pour l’emploi et reprendre en main la question de la qualité des produits et du bien-être animal. De plus, il insiste sur la nécessité de créer une stabilité des prix agricoles et sur l’importance de la relocalisation des marchés. C’est alors qu’il évoque LE fameux sujet : le transfert de l’aéroport. On l’attendait tous, il s’agitait comme une épée Damoclès au-dessus de leurs têtes, à eux, les responsables politiques et autres représentants des grands groupes présents pour l’occasion. Cette prise de parole était à la fois inévitable, mais tout aussi délicate à formuler sur cette scène où la diplomatie est de rigueur. Quelques rires étouffés dans la salle, un léger brouhaha s’élève dans l’amphithéâtre. Il parle alors du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes comme d’une décision du passé : comment préserver un tel projet ? Il faut maintenant « penser à l’avenir ! » L’animatrice du débat conclut alors en remerciant le président de la Confédération Paysanne 44 d’avoir « ouvert le débat » et tend le micro à l’intervenant suivant, Armand Béouindé.

« Celui qui voudrait nourrir une grenouille ne doit pas mettre les insectes sur un arbre » Armand Béouindé

Le maire de Ouagadougou fait alors référence à l’accès au financement climatique. Selon lui, celui-ci se révèle être un véritable « parcours du combattant », c’est un « mécanisme lourd et long ». Les opportunités pour l’Afrique sont nombreuses…Il prend alors l’exemple de la transformation du soleil en énergie : des solutions sont possibles mais comment y parvenir ? Il aborde la nécessité d’une sensibilisation et d’une communication dans leurs pays pour mobiliser les esprits et éduquer afin d’envisager l’avenir sous de meilleurs auspices.

C’est alors qu’intervient Jean Jouzel, climatologue français et Prix Nobel de la Paix en 2007 avec le GIEC, Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat. Il pointe également l’importance de l’éducation pour et par les ONG, les entreprises, les syndicats, le monde de la recherche malgré les réticences qui font parfois surface. Selon lui, il faut « s’associer pour évoluer et s’adapter dans un contexte qui n’augmente pas les inégalités » déjà présentes.

Pour Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, c’est également « en agissant ensemble qu’on aura un résultat ». Celle qui a été nommée championne du climat, fonction créée par l’Accord de Paris, veut « ouvrir le débat national », que les décisions politiques se transforment en quelque chose qui soit réel par le biais de « l’engagement de la société civile ». Elle insiste sur l’importance de la « transparence » afin de développer la vision du futur et que le débat s’ouvre dans chaque pays.

CLAP CLAP CLAP, on applaudit, on sourit pour la photo, et nous on file pour participer à une autre mobilisation qui était organisée Place Ricordeau à 14h.

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Ouverture du sommet mondial des acteurs non-étatiques engagés dans la lutte contre le dérèglement climatique à Nantes
Ouverture du sommet mondial des acteurs non-étatiques engagés dans la lutte contre le dérèglement climatique à Nantes

Franck Tomps

Noyer le poisson

En parallèle, un « appel au sabotage » est lancé sur le blog StopClimateChance pour protester contre ce sommet qui réunit ceux qui font « bien partie du problème, (et) pas de la solution ».
Une bonne centaine de personnes se réunissent dans le calme, les véhicules des CRS sont garés non loin de là forment un dispositif impressionnant pour une mobilisation relativement mince en comparaison. Les manifestants se retrouvent encerclés de toutes parts rue Perrault en l’espace de deux temps trois mouvements, des centaines de policiers forment une nasse et enclavent plusieurs dizaines de personnes. Ils procèdent alors à des vérifications d’identité puis à des interpellations. Des poussettes aux cheveux blancs, toutes les générations sont représentées, toutes les classes sociales foulent le pavé, tous écœurés par cette répression injustifiée. Certains s’interrogent alors sur nos droits dans un pays dit démocratique : pouvons-nous encore contester des décisions, comment montrer notre indignation si la moindre manifestation nous est interdite ? « Si on ne change pas les choses maintenant, demain, vous voyez, il n’y aura plus ce contre quoi je suis adossé » me dit un manifestant, adossée contre un arbre. Les « mamies », elles, se disent angoissées pour notre avenir, à nous, les jeunes : « On est déjà dans la deuxième partie de nos vies, mais vous, vous pouvez changer les choses ! ». Ces dames, elles se sont réfugiées à la terrasse d’un café et ne comprennent pas ce que font les vingtaines de camions de CRS garés le long de l’Hôtel Dieu et l’hélicoptère de gendarmerie qui tourne au-dessus de nos têtes : « Vous vous rendez compte des moyens déployés pour le peu que nous sommes ; qui paie tout ça à votre avis ? » m’interrogent-elles d’un ton ironique, suspicieux, amer…en faisant tourner leur cuillère dans leur café noir.

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Les CRS forment un barrage sur la ligne de tramway

Jérémie Verchere


Jouer au chat et à la souris

Le lendemain, une mobilisation contre Manuel Valls est prévue dans le cadre de sa venue au Congrès de l’union sociale de l’habitat. Plusieurs manifestations sont alors prévues dans la journée, trois exactement, à l’appel de Nantes Révoltée et de l’intersyndicale (CGT, FO, FSU, Solidaires, Unef). La venue de Valls est considérée comme une provocation dans cette ère du 49.3, de la loi travail et de l’avis d’expulsion de la ZAD. La première manifestation était prévue au petit matin place Bouffay, pendant laquelle une marionnette à l’effigie du premier ministre est alors brûlée. S’ensuit une marche vers la place Graslin qui sera vite écourtée, les sirènes résonnent dans la ville et le cortège d’accueil des casques bleus se met en place. Dans les rues du centre-ville nantais, un cache-cache géant se profile: la foule se met à se disperser, les gendarmes se lancent à leur poursuite, les commerçants abaissent leurs rideaux de fer et regarde d’un œil inquiet ou rieur les scènes qui se jouent devant eux. Une autre mobilisation prendra alors place dans l’après-midi du mardi 27 septembre devant le Parc des Expositions de la Beaujoire.

Prendre le taureau par les cornes

Finie la triste rigolade, retour à la Cité des Congrès pour faire ressortir le positif de cet événement : les initiatives locales. Car oui, il y a des projets qui méritent d’être mis en lumière, d’être salués. Il y a ces personnes singulières qui ont fait des paroles des actes, qui ont fait surgir des solutions innovantes aux problèmes posés, qui se sont impliquées à leur petite échelle pour permettre à nos enfants et petits-enfants d’entrevoir la possibilité d’un monde meilleur. Non ce n’est pas simplement une belle phrase pour faire joli mais après tout, si on ne commence pas à notre niveau, qui le fera ? Parmi eux il y a Coline Billon, fondatrice de l’association La Tricyclerie. Le principe : collecter les déchets organiques pour les professionnels de la restauration et les entreprises en vélo-remorque, et ainsi être l’un maillon de la chaîne « zéro déchet ».

Au cœur de Nantes, il n'existe aucune solution logistique qui facilite le dernier kilomètre « la cuisine au compostage » malgré un besoin avéré. La Tricyclerie

Cette idée est partie d’un constat simple et d’une demande relativement forte : il n’est pas toujours évident de mettre en place des moyens permettant le compostage des bio-déchets, et surtout en ville. C’est alors qu’interviennent Coline et son équipe d’une vingtaine de bénévoles dont l’ambition ne cesse de grandir. Après avoir fait un appel aux dons par crowdfunding, ce sont quelques 9470€ qui ont été collectés sur un objectif de 8000€ grâce à cette campagne. Ils ont ainsi pu financer l’ouverture d’un nouveau « quartier d’activité » avec l’implication d’une dizaine de restaurants quartier Bouffay, investir dans l’achat d’un nouveau vélo-remorque électrique et développer l’espace de compostage.

Cette récolte de déchets se fait donc sans aucun impact environnemental, permet de « tisser des liens sociaux entre les quartiers » et de promouvoir une agriculture locale. Une fois récoltée, cette ressource permettant de fertiliser les sols est alors récupérée par Compost in situ. Une partie de ces déchets biodégradables seront alors transportés dans l’une des six fermes composant le collectif, tandis que l’autre partie sera réservée aux jardins et espaces verts. Maintenant salariée, Coline cherche à élargir l’association, en participant notamment à la sensibilisation des acteurs quant au gaspillage alimentaire, à la cuisine responsable, à la réduction des déchets, au tri mais aussi à la formation compost en partenariat avec d’autres associations telles que Compostri.


Depuis plusieurs semaines, le débat concernant la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ne cesse d’être alimenté sans que la situation ne s’éclaircisse pour autant. Les politiques eux-mêmes semblent être en désaccord au sein du gouvernement à l’aube des élections, les déclarations s’enchaînent en laissant l’ombre du doute sur l’avenir de ce projet. La menace d’expulsion pèse toujours et les anti-aéroports se préparent à la lutte pour défendre ces terres d’un ensevelissement sous béton. Depuis un siècle, la France a condamné 70% de ses zones humides irremplaçables. Sur la ZAD s’est développé un modèle alternatif à celui que la société capitaliste et consumériste propose aujourd’hui, un avenir collectif et solidaire pour préserver la nature qui s’étouffe sous notre poids.

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Zodiac : Fincher vs. Graysmith

René Magritte, Décalcomanie, 1966, © Photothèque R. Magritte / Banque d'Images, Adagp, Paris, 2016

La folle rentrée 2016 : coups de cœur de la rédaction / Arts visuels

Curieuse de tout et surtout de l'info, Romane (se) pose beaucoup de questions. Salariée de Fragil, elle écrit sur l'éducation aux médias et la musique actuelle !

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017