• christophe
25 novembre 2016

Christophe, électrolibre

Loin des commémorations de morts d’un autre siècle et du chaos du week-end électoral américain, c’est dans le grand atelier du lieu unique qu’il fallait être, ce 11 novembre dernier, pour s’émouvoir avec sincérité.

Christophe, électrolibre

25 Nov 2016

Loin des commémorations de morts d’un autre siècle et du chaos du week-end électoral américain, c’est dans le grand atelier du lieu unique qu’il fallait être, ce 11 novembre dernier, pour s’émouvoir avec sincérité.

Aller au concert de Christophe, c’est comme certaines tendances vintage : complètement ringard pour certains, résolument branché pour d’autres. Dans la foule qui se presse dans le hall du lieu unique se mélangent jeunes et moins jeunes. On en démasque certains venus pour entendre Les Mots bleus et crier Aline, on repère les jeunes qui l’ont peut-être découvert grâce à Christine and the Queens et sa très sensible reprise de Paradis Perdus. Et ceux-là l’ont peut-être trouvé résolument moderne, cet oiseau de nuit qui emmerde tout le monde. Dans son dernier album Les Vestiges du Chaos, sorti en avril 2016, Christophe ouvre de nouvelles voies vers la musique electro, trafiquant comme il l’aime musique et voix à grand coups de synthés et de logiciels.

L’homme est sensible. Ce que l’on avait ressenti à l’écoute émue de son album se confirme sur scène. Christophe est là, omniprésent et tout à la fois si discret, noyé dans un halo brumeux d’où nous le distinguons à peine, comme pour mieux l’entendre. Comme l’album, le concert s’ouvre avec le titre Définitivement, dans lequel sa voix cristalline nous propose « de réunir [n]otre plus belle âme et [s]a plus grande flamme ». On ne pourra qu’honorer ce pacte tacite, tant le chanteur se montrera à la hauteur de sa promesse. Avec cette chanson, le ton du concert est déjà donné : le niveau de qualité sera très élevé, reflétant l’exigence d’un chanteur-compositeur perfectionniste. Il avait avoué dans une longue interview donnée à Libération cette année avoir travaillé la chanson Tangerine pendant plusieurs années avant de l’estimer « prête ». L’exigeante évidence est là, mais elle est humble.

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Christophe
Christophe

Lucie Bevilacqua

Car c’est avec beaucoup de sincérité que Christophe partagera avec nous plus de deux heures de musique, interprétant l’intégralité de son dernier album sans négliger les titres qui l’ont rendu célèbre :  « Je les aime toutes, mes chansons, alors je prends beaucoup de plaisir à les chanter. » La voix, quasi identique à celle de l’album, est pure et claire, comme on l’a toujours connue. Aux forts accents electro-rock, portés par une mise en lumière qui joue avec les pixels lumineux, succèdent des reprises piano-voix, presque chuchotées à nos oreilles. Dans ce chaos parfaitement organisé, Christophe est entouré de six musiciens talentueux, qu’il prend soin de mettre tour à tour en avant au gré des morceaux. Il consacrera à son violoniste, ancien musicien d’Alain Bashung, une émouvante reprise.

Aux forts accents electro-rock, portés par une mise en lumière qui joue avec les pixels lumineux, succèdent des reprises piano-voix, presque chuchotées à nos oreilles

« Mettons-nous d’accord maintenant », avait-il prévenu au début du concert, « oui, je vais la chanter, Aline. Mais après, vous le saurez, il ne faudra pas essayer de me faire revenir, car ce sera le moment de nous quitter. Le moment pour vous de rentrer chez vous et de boire un verre à ma santé dans la cuisine. » Et c’est une Aline en forme de feu d’artifice rock qui conclut le concert, signature désinvolte d’un chanteur qui se rit des convenances, vivant discrètement à l’heure où tout le monde dort.

Loin de certains artistes de sa génération, ressassant éternellement leur tubes passés en quête d’un regain de gloire qui les rendrait presque pathétiques, Christophe a fait le choix de s’ancrer dans le présent. Et cela lui donne, sous sa moustache gauloise, un petit quelque chose d’émancipé, de rebelle et d’utopiste.

Affiche des Utopiales déssinée par Denis Bajram

Rafik Djoumi, héraut des geeks

Less is (Gil)more

Aime les belles lettres et les beaux mouvements, se meut et s'émeut parfois passionnément. Par-dessus tout, regarde le monde avec ses propres yeux et parie sur les esprits éclairés pour faire bouger les lignes. Sage bohémienne, elle aime l'ordre autant que le bordel, surtout quand il est créatif.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017