14 septembre 2017

Charlotte Despaux et Anas Séguin à Saint-Céré: l’étoffe des grands

L’un des évènements de l’édition 2017 du festival de Saint-Céré a été la mise en scène, pleine d’énergie, des « Noces de Figaro » de Mozart, par Eric Perez. Charlotte Despaux et Anas Séguin y ont construit des figures particulièrement intenses de la Comtesse et du Comte Almaviva, auxquels ils apportaient un impressionnant charisme et de touchantes sensibilités. Fragil les a rencontrés, dans le traditionnel canapé de l’hôtel de France.

Charlotte Despaux et Anas Séguin à Saint-Céré: l’étoffe des grands

14 Sep 2017

L’un des évènements de l’édition 2017 du festival de Saint-Céré a été la mise en scène, pleine d’énergie, des « Noces de Figaro » de Mozart, par Eric Perez. Charlotte Despaux et Anas Séguin y ont construit des figures particulièrement intenses de la Comtesse et du Comte Almaviva, auxquels ils apportaient un impressionnant charisme et de touchantes sensibilités. Fragil les a rencontrés, dans le traditionnel canapé de l’hôtel de France.

Fragil : Qu’est-ce qui vous touche particulièrement chez les personnages du Comte et de la Comtesse ?

Charlotte Despaux : La Comtesse est une femme jeune et déjà délaissée. Elle est toujours amoureuse du Comte et souhaite sauver son couple.

Anas Séguin : On interprète des personnages qu’on n’est pas forcément dans la vie. Le Comte est très dur et a énormément d’attentes des femmes. À cela s’ajoute la question de sa classe sociale. C’est très intéressant de jouer tout ça.

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Deux figures particulièrement intenses du comte et de la comtesse.

Nelly Blaya

Fragil : Comment présenteriez-vous le spectacle mis en scène par Eric Perez ?

Charlotte Despaux : C’est une vision à la fois très humaine et contemporaine.

Anas Séguin : On part du XVIIIème siècle pour terminer sur la vision plus austère d’un XIXème siècle, où se dessine ce que sera la bourgeoisie. Eric Perez nous a fait explorer toutes les facettes des personnages.

Charlotte Despaux : Nous avons effectivement travaillé sur les rapports qu’ils entretiennent entre eux, en nous efforçant d’être au plus juste.

« C’est une musique très festive, que l’on pourrait passer en boite de nuit ! Elle procure énormément d’émotion ; elle a tellement de couleurs… »

Fragil : Quelles émotions particulières la musique de Mozart vous procure-t-elle ?

Charlotte Despaux : C’est une musique très festive, que l’on pourrait passer en boite de nuit ! Elle procure énormément d’émotion ; elle a tellement de couleurs…

Anas Séguin : C’est très intelligent, plein de contrastes et parfois espiègle. Les idées vocales se mêlent aux histoires. Quand on la chante, c’est un plaisir sans nom, et on arrive à percevoir des choses que l’on ne soupçonne pas quand on l’écoute.

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L'affiche du spectacle sur l'une des tours du château.

Alexandre Calleau

Fragil : Quelles rencontres vous ont particulièrement marqués dans vos itinéraires artistiques ?

Charlotte Despaux : Beaucoup de gens ont compté au conservatoire national supérieur de musique de Paris (C.N.S.M), et notamment mon professeur Malcom Walker, qui m’a fait comprendre que le chant est une philosophie de vie. Cette idée m’a énormément aidée.

Anas Séguin : Au C.N.S.M, nous avons eu beaucoup de professeurs en commun, et avons fait des rencontres similaires. J’étais instrumentiste auparavant : j’ai fait de la trompette et du chant dès l’âge de sept ans, et plusieurs personnes, dont le trompettiste Jean-Bernard Beauchamp, m’ont aidé à me construire, en me donnant des valeurs de partage et de générosité. Je ne peux non plus oublier Sophie Hervé, ma professeur de chant.

Charlotte Despaux : Michèle Herbé, qui avait été chanteuse, m’a donné mon premier rôle important au Festival de Marmande, celui de Sophie dans « Werther » de Jules Massenet. Elle a renouvelé l’invitation ensuite, en me confiant Juliette dans « Roméo et Juliette » de Charles Gounod.

Fragil : Anas, vous êtes passionné de Lieder et de mélodies et vous avez notamment chanté le cycle « Die Schöne Müllerin » de Schubert au Petit Palais à Paris. Que ressentez-vous en explorant ces formes en récital ?

Anas Séguin : On se retrouve seul avec un « pavé » de 20 mélodies à interpréter, mais on doit aussi s’approprier et défendre un personnage qui vit une histoire, avec une continuité, comme à l’opéra. Le plaisir est donc le même mais c’est différent d’un point de vue technique, dans la projection de la voix. C’est plus intimiste.

Charlotte Despaux : C’est vrai, et chaque mot est important dans ces mélodies, peut-être plus encore qu’à l’opéra.

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La troupe de ces "Noces de Figaro" pendant le salut final.

Alexandre Calleau

« C’est très émouvant de jouer une œuvre qui n’avait pas été faite depuis longtemps. »

Fragil : Anas, vous avez participé en 2014 à une rareté d’Auber, « Le philtre », à l’Opéra de Marseille, en écho à des représentations de « L’élixir d’amour » de Donizetti. Quel souvenir en gardez-vous ?

Anas Séguin : C’est d’abord une belle rencontre humaine avec Yves Coudray, le metteur en scène, qui m’a également dirigé dans « Véronique » d’André Messager. Le livret du « Philtre » a été écrit par Eugène Scribe, et c’est le même que celui de « L’élixir d’amour ». C’est très émouvant de jouer une œuvre qui n’avait pas été faite depuis longtemps. Nous nous sommes tous bien amusés à la transmettre ; certains passages sont très beaux musicalement. Maurice Xiberras, le directeur de l’Opéra de Marseille, m’invite depuis tous les ans. C’est quelqu’un qui encourage la jeune génération en se montrant fidèle à ses convictions et à ses valeurs. Je viens de retourner récemment à Marseille pour participer à « Don Carlo » de Verdi.

Charlotte Despaux : J’ai également de l’admiration pour Maurice Xiberras, qui m’a programmée dans des opérettes de Franz Lehar comme « La veuve joyeuse » et « Le pays du sourire », au théâtre de l’Odéon de Marseille.

« C’est un opéra à la fois féministe, qui prône une certaine liberté, et qui met en garde contre la folie des hommes. Le sujet est dingue, et me parle énormément ! »

Fragil : Vous allez vous retrouver en avril 2018 sur « Carmen », en Morales et Frasquita, au Capitole de Toulouse, dans une coproduction avec l’Opéra de Monte Carlo. Que représente pour vous ce répertoire français ?

Charlotte Despaux : « Carmen » est l’un des opéras les plus beaux que je connaisse, et c’est une grande fierté de le défendre. J’ai déjà fait beaucoup d’opéras français et j’essaie toujours d’améliorer ma diction.

Anas Séguin : Il y aura beaucoup de chanteurs français sur cette production à Toulouse, Anaïs Constans sera Micaëla. « Carmen » fait partie du top 3 des opéras que j’aime le plus, avec « Les Noces de Figaro » et « Werther ».

Charlotte Despaux : Je suis d’accord avec toi sur « Werther » !

Anas Séguin : « Carmen », c’est une très belle musique et un ouvrage qui se prête à des mises en scène très différentes, comme l’ont prouvé récemment le spectacle de Calixto Bieito à l’Opéra Bastille, et celui de Dmitri Tcherniakov au festival d’Aix-en-Provence. C’est un opéra à la fois féministe, qui prône une certaine liberté, et qui met en garde contre la folie des hommes. Le sujet est dingue, et me parle énormément !

« Cette expérience au contact d’autistes nous montrait qu’il est possible d’évoluer dans un monde sans jugement, et ça fait beaucoup de bien. »

Fragil : Charlotte, vous avez joué dans une « Traviata » particulière, en juin 2016 au Théâtre des Variétés à Paris, « Traviata’s company ». Quelles traces cette expérience vous a-t-elle laissées ?

Charlotte Despaux : C’était un projet de la compagnie « Le théâtre de cristal », avec les musiciens de l’ensemble Calliopée, qui permettait à des personnes autistes, à des chanteurs professionnels et à des amateurs, de participer à un même spectacle, mis en scène par Johanna Boyé. Gilles Roland-Manuel, médecin psychiatre, s’était chargé de la réécriture. La trame était dite par des comédiens, il y avait aussi des danseurs, et j’étais Violetta. Le public a bien réagi. La compagnie avait exploré auparavant dans « Noces de sang » les mythes de Carmen et de Don Juan. Cette expérience au contact d’autistes, à laquelle Anas participait également, nous montrait qu’il est possible d’évoluer dans un monde sans jugement, et ça fait beaucoup de bien.

Fragil : Quels autres répertoires aimez-vous aborder, et quels sont les rôles auxquels vous rêvez ?

Charlotte Despaux : Je vais chanter Marguerite du « Faust » de Charles Gounod à Marmande, et je m’en réjouis. J’adorerais aborder Manon, dans l’opéra de Jules Massenet, et je souhaite aussi étoffer mon répertoire en explorant Puccini et notamment Mimi dans « La bohème ».

Anas Séguin : J’aimerais beaucoup refaire « Aleko » dans l’opéra en un acte de Rachmaninov, que j’ai chanté en version de concert en 2014 à Clermont-Ferrand. Don Giovanni est un rôle que je serais heureux d’aborder, et pourquoi pas Marcello dans « La bohème », dont je trouve la musique jouissive. Je suis attiré par le répertoire de Verdi et de Puccini. La figure de Germont, dans « Traviata », me touche particulièrement, mais c’est trop tôt pour l’instant.

« … une grande cohésion entre les chanteurs, et beaucoup d’admiration les uns pour les autres. »

Fragil : Comment définiriez-vous le festival de Saint-Céré ?

Charlotte Despaux : C’est une ambiance très familiale, où l’on peut s’épanouir artistiquement comme humainement. Ce qui amène une grande cohésion entre les chanteurs, et beaucoup d’admiration les uns pour les autres. Dans ces « Noces de Figaro », la mise en scène d’Eric Perez comme la vision musicale de Joël Suhubiette sont très intéressantes, et nous ont permis d’effectuer ces prises de rôles avec beaucoup de confiance.

Anas Séguin : Nous avons passé un mois génial à travailler ensemble en avril, et nous étions tous impatients de nous retrouver pour les premières représentations à Cahors et à Clermont-Ferrand. C’est un luxe d’évoluer dans une telle atmosphère.

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Anas Séguin et Charlotte Despaux : des sensibilités touchantes.

Alexandre Calleau

« … son explosion de joie finale me fait ressentir toute la jouissance d’exercer ce métier ! »

Fragil : Pouvez-vous citer un moment particulièrement intense vécu sur scène ?

Charlotte Despaux : Je garde un souvenir très fort de la mort de Violetta. L’émotion que l’on ressent à faire mourir une héroïne aussi forte et aussi fragile à la fois, est unique. Les très belles phrases musicales, qui la font parler pendant ses derniers instants, me transportent, et son explosion de joie finale me fait ressentir toute la jouissance d’exercer ce métier !

Anas Séguin : C’était au concours de Marmande, où j’ai reçu le premier prix de mélodie en chantant « Tristesse » de Gabriel Fauré. C’est un morceau qui me parle beaucoup. Celui qui chante n’aime plus rien, pas même son vieux chien qui l’a suivi toute sa vie. Je n’ai jamais éprouvé nulle part une telle émotion qu’en exprimant ce désarroi. N’est-ce pas pour vivre ce genre de moments que l’on fait de la musique ?

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Le très beau château de Castelnau, où étaient représentées ces "Noces de Figaro"

Alexandre Calleau

Avec nos remerciements à Monsieur et Madame Berry, propriétaires de l’hôtel de France à Saint-Céré

Les 100 ans du Concorde : dénouement prévu pour ce week-end

Clap dans les bars : les jeunes créateurs débarquent en ville !

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017